« Les Yeux de Marie-Jeanne ». Grotte Marie-Jeanne, Port-à-Piment, Haïti.Jean-François Fabriol
Sous les pieds des Haïtiens, des centaines de kilomètres carrés de grottes, de galeries et de tunnels : c’est cette richesse qu’ont voulu mettre en lumière deux photographes et un spéléologue. Jusqu'au 22 janvier, à l’Unesco, l’exposition « Grottes d’Haïti, entre imaginaires et réalités » fait découvrir au public le fruit des sept expéditions menées depuis cinq ans. Les visiteurs admirent une série de paysages sous-terrain à couper le souffle. L’objectif de cette exposition, c’est aussi de changer l’image d’Haïti pour que le pays puisse tirer avantage de son patrimoine et attirer les touristes.
Comme le montre son sous-titre « entre imaginaire et réalités », l’exposition relie l’histoire des grottes avec la culture haïtienne, et plus particulièrement avec sa littérature.
Si les photographies sont un point d’entrée sur ces lieux méconnus, elles permettent aussi de découvrir que ces cavernes sont loin d’être inhabitées : Haïti est en effet un pays tropical extrêmement chaud donc favorable au développement d’une faune abondante. Le spéléologue professionnel Olivier Testa a participé aux explorations et fait fréquemment des rencontres dans ces cavités : « Au niveau inférieur de la grotte Marie-Jeanne, qui est un niveau totalement isolé de l’extérieur, vit une colonie de 50 000 chauves-souris. Elles vont déverser chaque jour des kilos et des kilos de guano et dans ce guano on va trouver des araignées, comme cette grosse mygale que nous pouvons voir, qui est une des plus grosses mygales au monde. Elle est de couleur orangée avec des reflets violets et des poils, elle est absolument inoffensive, enfin sa piqûre n’est pas mortelle… »
Olivier Testa a aussi croisé des« amblypyges », sorte de grosse araignée à huit pattes. Particularité de cet arachnide : deux de ses pattes, qui peuvent faire jusqu’à 30 centimètres de long ne lui servent pas à se déplacer, mais à tâter le terrain pour sentir ses proies : « C’est un animal qui court très vite, explique-t-il, qui fait extrêmement peur, mais qui est lui aussi inoffensif ».
Autres habitants de ces grottes : des serpents, des petits scorpions, eux aussi sans danger – mais qui provoquent souvent une belle frayeur… « Parfois on est à plat ventre dans les grottes et quand on tombe nez à nez avec une mygale on a beau se dire c’est inoffensif, moi ça me fait peur ! »
Des grottes vaudou
Les grottes de l’île jouent également un rôle essentiel dans la vie religieuse des Haïtiens. Carole Devillers est photographe, elle a vécu près de 20 ans en Haïti, et explique que si les Haïtiens sont très attachés à leurs grottes, certains n’osent pas s’y aventurer parce qu’ils ont peur.D’autant que beaucoup sont utilisées pour des cérémonies vaudou : « on nous a dit qu’une cérémonie exécutée dans une grotte a plus de puissance qu’une cérémonie faite ailleurs. Nous devions rencontrer un Ongan, un prêtre vaudou, pour aller voir une certaine grotte dans laquelle règne un esprit qui était le maître des lieux ».
Impossible de s’y rendre sans la présence d’un prêtre, qui doit organiser une petite cérémonie. L’Ongan demande alors au groupe d’apporter le lendemain une bouteille de rhum et une baleine. La suite, racontée par Carole Devillers : « une fois parti, Olivier se tourne vers moi et me dit ‘Une baleine ? Mais où est-ce qu’on va trouver une baleine, on est en plein montage ? ’. Ayant vécu en Haïti et parlant créole, je savais de quoi il s’agissait. Une « balenn » en Haïti, c’est une bougie : par le passé les bougies étaient faites à base du blanc de baleine, le terme est resté. Le lendemain nous sommes retournés voir le prêtre avec la bougie et la bouteille de rhum et il est venu avec nous. Il a fait une petite cérémonie pour demander au Loa (l’esprit de la grotte) de nous protéger, et tout s’est très bien passé ! »
« Les yeux bleus de Marie-Jeanne »
Les explorations successives ont permis aux photographes de rapporter beaucoup de clichés qui nourrissent l’exposition. Mais la photographie souterraine est bien différente de celle qui se pratique en extérieur. Selon le photographe Jean-François Fabriol, membre régulier de ces expéditions, elle requiert des techniques particulières et de l’expérience : « Le monde souterrain est un monde de l’obscurité, du noir complet, total. Les seules lumières que l’on a, ce sont celles de nos casques, donc on ne voit pas vraiment l’ensemble des grottes, surtout quand elles sont grandes. » Pour ses photos François Fabriol est donc obligé d’amener du matériel pour éclairer les grottes, des flashs entre autres.
Pour autant, ces flashs ne doivent pas être montés sur les appareils photographiques : « la lumière qu’on envoie va se réfléchir et revenir dans le flash, ce qui crée une sorte de halo blanc où l’on ne voit rien. De plus, ça enlève totalement le relief et la profondeur que l’on pourrait avoir sur la photo. »
Jean-François Fabriol nous montre alors la plus célèbre de ses photos, une image prise dans une grotte à trois étages. « Le sous-sol est donc au troisième étage inférieur et je me suis régalé à prendre des photos, dont celle-ci avec deux contre-jour, que j’ai appelée ‘Les yeux bleus de Marie-Jeanne’. » Dans cette immense grotte, le photographe a positionné les éclairages dans deux grandes cavités. Il a ensuite demandé à d’autres membres de l’expédition de se positionner devant la source de lumière afin de créer deux contre-jours (les deux yeux de Marie-Jeanne) : « en est sortie cette splendeur qui donne une couleur assez fantastique à la photo », conclue avec fierté Jean-François Fabriol.
► Grottes d’Haïti, entre imaginaire et réalité, exposition à l’Unesco, Paris, jusqu’au 22 janvier. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de s’y rendre, des diaporamas inédits sont disponibles sur le site internet de l’exposition.
No comments:
Post a Comment