Sunday, January 11, 2015

« Haïti a tant de choses à offrir au monde »

« Haïti a tant de choses à offrir au monde »

Entretien avec Michèle Pierre-Louis , présidente de la Fokal (Fondation connaissance et liberté) et ancienne chef du gouvernement haïtien (en 2008-2009)
9/1/15 - 18 H 34
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Pour Michèle Pierre-Louis, « Haïti a beaucoup de choses à faire valoir, au-delà de l’étiquette ré...
OLIVIER MORIN/AFP

Pour Michèle Pierre-Louis, « Haïti a beaucoup de choses à faire valoir, au-delà de l’étiquette récurrente de ’’pays le plus pauvre du continent américain’’ »

AVEC CET ARTICLE
Pour cette grande figure de la société civile haïtienne, le pays doit aussi, pour se reconstruire, mettre en avant ce qui marche.
Le 12 janvier 2010, Haïti connaissait une terrible tragédie. Cinq ans plus tard, la population se plaint de la lenteur de la reconstruction, voire de son absence. Où en est Haïti aujourd’hui ?
Michèle Pierre-Louis : Je crois qu’on aurait tort de dire que rien n’a été fait. Mais il faut rappeler que sur les 10 milliards d’euros apportés par les bailleurs internationaux depuis le séisme, un peu plus de la moitié a été dépensé pour l’urgence humanitaire (soins, distribution d’eau, de nourriture, etc.).
Et sur les 5 autres milliards d’euros, donnés au titre de l’aide internationale, dans un cadre bilatéral et multilatéral, seulement 0,6 % a été donné à l’État haïtien. L’essentiel a été versé via les agences de l’ONU, pour aider les familles, par exemple, à bâtir un nouveau logement.
À Port-au-Prince, quelques chantiers publics sont visibles, dans le centre, autour du palais présidentiel. Le ministère de l’intérieur, la Cour de cassation sont en construction. Mais tout semble avancer lentement…
M.P-L. : Encore une fois, le gouvernement a peu de moyens. On peut sans doute lui reprocher, dans ce contexte, d’avoir lancé trop de chantiers en même temps, au point de n’en avoir fini presque aucun.
C’est dommage, car il y a eu de la part du gouvernement la volonté de faire et d’agir. Mais dans la précipitation, sans définir de priorités.
Au lendemain du séisme, beaucoup ont également appelé à la « reconstruction de l’homme haïtien ». S’agissait-il d’une belle formule, ou d’un réel impératif ?
M.P-L. : Le traumatisme du tremblement de terre a été très profond. Vous savez, je reviens de Californie, et à l’aéroport, à chaque fois qu’un avion se posait et que l’immeuble tremblait, mon cœur se soulevait.
C’est fou n’est-ce pas, cinq ans après ! Nous n’avons pas été soignés collectivement. C’est une première chose.
La seconde est que le tremblement de terre, malgré les souffrances, la mort, la destruction, était une opportunité de réflexion plus générale sur nous, Haïtiens et Haïtiennes, et sur ce que nous voulons faire de notre nation. Si nous avons payé un aussi lourd tribut, c’est aussi en raison du pays tel qu’il était au matin du 12 janvier.
Or ceci n’a pas été du tout compris pas nos leaders, et le débat a été escamoté. D’autant que le pays est tout de suite rentré dans une compétition électorale, avec l’élection présidentielle de 2010.
Je crois pourtant qu’il fallait prendre le temps de se regarder et de se dire :« Basta de nos simagrées ! » On est un pays, on ne peut pas tout le temps être à la remorque des choses, on a des choses à dire, à montrer. Et pas tout le temps des choses grimaçantes ! Mais on n’a pas pris ce temps.
Encore ces derniers temps, le pays traverse des difficultés politiques, au moment même où le monde regarde à nouveau Haïti à l’occasion du cinquième anniversaire…
M.P-L. : Oui, et c’est très dommage. Car Haïti a beaucoup de choses à faire valoir, au-delà de l’étiquette récurrente de « pays le plus pauvre du continent américain », de « nation violente »… Nous avons tant à offrir au monde.
C’est tout ce qui m’intéresse maintenant, mettre mon pays à l’honneur. Il y a des choses qui marchent ici ! Surtout dans l’art, dans la création. Nous avons le taux le plus élevé d’analphabétisme de la région, mais nos écrivains récoltent les prix les plus prestigieux !
Dany Laferrière est entré à l’Académie française, Yanick Lahens vient de recevoir le prix Femina. Haïti est en ce moment au Grand Palais. Sans parler de notre musique, notre danse, etc. On dira que ce n’est pas la culture qui fait un peuple ? Eh bien moi, je pense que si…

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